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Masculinités en migration

May 2023
Publications

Emeline Zougbédé et Stefan Le Courant (coord.), De facto n°34, Mai 2023

« Les hommes migrent, seuls, pour nourrir les femmes et les enfants restés au pays ». Voici le type de poncifs sur la migration que les approches féministes ont balayé en rappelant que les femmes voyagent seules, elles aussi, depuis longtemps. Ces études n’ont pas uniquement déconstruit la figure générique du migrant, elles ont également montré que le genre était au cœur des processus migratoires : on ne voyage pas de la même façon, on ne subit pas le même traitement tout au long des routes migratoires quand on est une femme. Ainsi, c’est l’écriture même du fait migratoire au « masculin neutre » que ces travaux bousculent en invitant, en miroir, à s’interroger sur ce que la migration fait aux masculinités. Évidente et finalement impensée, la figure du migrant n’a été que très peu traité au prisme du genre.


Des travaux en anthropologie ont pu analyser la migration comme un « rite de passage » : le courage face aux épreuves, le dévouement au travail, la frugalité, la capacité à envoyer de l’argent au pays sont autant de démonstrations de la capacité à endosser le rôle du breadwinner. Migrer est alors le détour nécessaire qui confère le pouvoir de se marier et permet ainsi d’accéder pleinement au statut d’homme. Le même type de masculinité virile a été mise en lumière à travers la figure narrative de « l’aventurier » dont le mérite se mesure à la hauteur des dangers encourus au cours de sa migration. Mais que devient l’ancien « aventurier » une fois parvenu au terme de son voyage ? Quels types d’expériences et quels types de masculinités sera-t-il en mesure d’incarner s’il devient un travailleur déclassé exposé aux discriminations raciales, un « sans-papiers » ou un entrepreneur à succès ? Si elle peut être synonyme de succès, la migration expose aussi – et parfois dans le même temps – aux expériences de minoration. La confrontation aux politiques répressives, aux expériences de mise à l’écart devient autant de sources d’incapacité et de production d’impuissance. La migration met ainsi la masculinité en tension et, entre ici et là-bas, les migrants sont susceptibles d’en incarner bien des déclinaisons. Ce numéro de De Facto invite non seulement à interroger l’universel du masculin migrant mais également à relire le fait migratoire sous l’angle du genre, sans cesse en recomposition.