Contre-je : genre et énonciations minoritaires en littérature
Appel à communication pour des journées d’étude organisées du 20 au 22 novembre 2024 à l’ENS de Lyon. Date limite d’envoi des propositions : 10 juin 2024.
Ce colloque, Contre-je : genre et énonciations minoritaires en littérature, propose d’explorer les diverses entreprises de « sape » des instances énonciatives (en particulier des « discours de savoir-pouvoir », Foucault, 1976), qu’elles soient poétiques ou narratives. Il ne s’agit pas seulement d’affirmer que « je est un(e) autre » pour les énonciations minoritaires – ce qu’il est toutefois bon de rappeler, Planté, 2002 –, mais également d’observer comment ces prises de parole dissidentes, qui sont autant de prises de position politiques, « agissent » sur les conditions d’énonciation du sujet, dont elles redéfinissent les marges/normes pour faire entendre un discours « en propre ». Ceci implique de tordre une instance énonciative socio-historiquement située par le positionnement qu’occupent des sujets « majoritaires » (doxographes ou « entrepreneurs de morale », « qui créent les normes […] et qui les font appliquer », Becker, 1961) – dans le champ sexuel, notamment – mais aussi de devenir maître·sse du discours habituellement tenu par ce « je » sur « l’autre ».
La formule « contre-je » doit conduire à éclairer non seulement ce que la « réitération » de certains discours – au double sens derridien de « répétition » et d’« altération » du signe (« phallogocentrique », en particulier, Derrida, 1972) – produit de resignification des imaginaires des sujets minoritaires, mais aussi – et surtout – la manière dont cette « réitération » induit un sabotage de l’instance narrative et poétique elle-même – que ce sabotage ait pour cause un déplacement, une démultiplication, un éclatement ou une dissolution des référents du « je » ; une expropriation/réappropriation des « pratiques énonciatives de référence » (issues du discours religieux, médical ou juridique, Bordas, 2013) ou, plus largement, des pratiques hétéro-désignatives ; un renversement des points de vue, sexisés ou racisés ; une critique explicite de toute « hégémonie discursive » (Angenot, 1986, 1989) ou universelle ; etc.
En guise d’illustration, dans le roman Carpentaria d’Alexis Wright (2006), autrice aborigène australienne, émerge au sein d’un passage écrit à la troisième personne du singulier un « nous » : « What a turnout! Gee whiz! We were in really serious stuff now. We were burning the white man’s very important places ». À cet énoncé explicite s’articule au plan énonciatif l’émergence du pronom « nous », instance qui porte la voix d’un sujet aborigène pluriel, pensé d’emblée comme un collectif, qui vient se positionner « contre », si ce n’est dynamiter le « je » de l’homme blanc. De nombreux textes de littérature postcoloniale ou s’inscrivant dans des traditions narratives non-occidentales donnent à voir des « agentivités » non humaines et en cela, font écho aux travaux de Jane Bennett sur la « matérialité vibrante » (« vibrant matter », 2010). C’est ainsi que le feu, dans le roman de Wright, est doté d’une « agentivité » propre, à l’intersection de l’humain, de l’animal et du non-humain : « We watched full of fascination at the fire’s life, roaring like a fiery serpent, looking over to us with wild eyes, pausing, looking around, as if deciding what to do next ».
Outre une posture individuelle ou collective éventuellement adoptée en réaction aux rôles de genre traditionnels – entre autres –, il importe d’explorer ce que les textes littéraires, de l’Antiquité à nos jours, qui mettent en situation des sujets minoritaires produisent comme effets de « polyphonie » (Bakhtine, 1978) et de reconfiguration des instances énonciatives. Comment contredisent-ils les formes « majoritaires » de définition du sujet ; pourquoi ouvrent-ils d’autres voies d’explorations poétiques ou narratives ? Ces quelques pistes de réflexions doivent inviter chacun·e à porter un regard au-delà – et en deçà – des frontières occidentales et modernes, pour appréhender d’autres modes de narration et, partant, d’autres implications ontologiques du « je ».
Les propositions de communication (d’environ 400 mots, à laquelle une notice bio-bibliographique doit être adjointe), présenteront une étude de cas assortie à un appareil théorique qui pose la question de l’« énonciation minoritaire » en termes d’analyse du discours ou de poétique. Elles devront être envoyées avant le 10 juin 2024 à l’adresse suivante : contre.je.colloque@gmail.com.